Certaines règles juridiques s’appliquent sans avoir jamais été écrites ni votées. Leur force tient à une répétition constante et à la conviction de leur caractère obligatoire, même en l’absence de texte. Des juges peuvent être tenus d’en tenir compte, malgré l’existence de lois écrites qui paraissent souveraines.
Certains systèmes juridiques accordent une place essentielle à ces usages anciens, tandis que d’autres les relèguent à un rôle subsidiaire. Pourtant, leur influence demeure, y compris dans les domaines du droit international ou des droits locaux, où la frontière entre tradition et norme contraignante reste parfois floue.
Comprendre la coutume en droit : définition et origines
La coutume s’impose sans la validation d’un texte. Elle résulte d’une pratique qui s’ancre dans la durée, adoubée par une conviction collective de son caractère obligatoire. Cette source de droit, qui souvent devance la loi ou la complète, continue d’occuper une place singulière dans le système juridique.
La France en est un exemple marquant. Dès l’ordonnance de Montil-Les-Tours, Charles VII engage la rédaction officielle des coutumes, épaulé par des figures comme Philippe de Beaumanoir et ses Coutumes de Beauvaisis. L’objectif ? Harmoniser la mosaïque de pratiques locales, rassemblées ensuite dans des recueils tels que le Recueil général des anciennes lois françaises. Plus tard, la vague de codification napoléonienne, orchestrée par Colbert ou Henri-François d’Aguesseau, relègue la coutume à l’arrière-plan, sans la faire disparaître pour autant.
La jurisprudence n’ignore jamais la coutume : elle en fait parfois une référence pour compléter la loi, ou la supplante si besoin. Le Code civil et le Code de commerce ouvrent la porte à l’usage, tantôt pour le consacrer (secundum legem), tantôt pour l’enrichir (praeter legem), ou encore pour le contrarier (contra legem).
Des penseurs comme Voltaire ou Montaigne, mais aussi la pratique judiciaire, ont disséqué la coutume. Elle reflète l’évolution des sources du droit, oscillant entre permanence et adaptation. À Paris ou ailleurs, elle s’inscrit dans la mémoire collective du droit, témoin d’un équilibre mouvant entre héritage et transformation.
Quels sont les éléments constitutifs d’une coutume juridique ?
Une coutume juridique ne tient que parce qu’elle repose sur deux bases solides : un élément matériel et un élément psychologique. L’un sans l’autre, la règle coutumière se dissout dans l’habitude, sans jamais accéder à la force de la norme.
Pour mieux saisir ce qui fonde une coutume, voici les deux éléments à réunir :
- L’élément matériel renvoie à une pratique répétée, constante. Il faut une stabilité, une répétition avérée à travers le temps et l’espace. Les tribunaux examinent la régularité des comportements et leur ancrage dans la durée.
- L’élément psychologique, ou opinio juris, exprime la croyance selon laquelle cette pratique s’impose parce qu’elle a valeur de droit. Il n’est plus seulement question d’habitude, mais d’une conscience partagée de son caractère obligatoire.
Dans le droit international, ces deux composantes sont indispensables : la simple répétition des actes ne suffit pas sans l’opinio juris. Les décisions de la Cour internationale de justice en témoignent. La charge de prouver la coutume revient à celui qui l’invoque, devant le juge ou l’arbitre. Seules les juridictions nationales et internationales réunissant ces conditions acceptent d’ériger une pratique au rang de règle coutumière.
Avec le temps, la jurisprudence affine la définition, accordant à la coutume sa place particulière parmi les sources du droit, au carrefour des usages, des lois et des traités.
Exemples concrets et diversité des pratiques coutumières à travers le monde
La coutume ne se résume pas à une trace du passé. Elle continue de régir de nombreux aspects du droit privé et du droit commercial. Dans les affaires internationales, par exemple, les Incoterms fixent les règles de livraison et de transfert des risques, preuve de la force d’un usage accepté par les acteurs économiques à l’échelle mondiale.
En France, certaines régions maintiennent leur particularité juridique. En Nouvelle-Calédonie, à Wallis et Futuna ou en Polynésie française, les traditions locales cohabitent avec le droit écrit, modelant des systèmes juridiques vivants et hybrides qui s’adaptent aux réalités de terrain. Sur le continent africain, le droit coutumier, aux multiples visages, s’articule avec le droit civil venu de la colonisation et le droit religieux. Ce tissage complexe entre coutume et écriture légale nourrit les débats et inspire des réformes.
Le droit international offre aussi des exemples marquants. Plusieurs arrêts de la Cour internationale de justice, comme l’Affaire Lotus ou celle du plateau continental de la mer du Nord, illustrent la construction d’une règle coutumière à travers la convergence des pratiques et la reconnaissance de leur dimension juridique. D’autres litiges, concernant le droit d’asile ou le droit de passage, révèlent les étapes de formation d’une norme coutumière, résultat d’une longue maturation collective.
Quelques illustrations concrètes montrent la diversité des domaines où la coutume façonne le droit :
- En droit du travail, elle structure les usages d’entreprise, complète la loi sur des sujets comme les primes ou l’organisation du temps de travail.
- Dans le droit commercial, elle vient combler les silences du Code de commerce : la mention “bon pour accord” ou la règle du paiement sous trente jours en sont des exemples courants.
La coutume conjugue ainsi persistance et transformation, preuve que le droit n’est pas qu’affaire de textes, mais aussi d’habitudes partagées et de convictions collectives.
L’impact de la coutume sur l’évolution du droit et son rôle aujourd’hui
Loin de s’être figée, la coutume continue d’influencer la dynamique du droit contemporain. En droit international, elle reste une source à part entière, reconnue par la Cour internationale de justice au même titre que le traité. Les États et les organisations internationales, par leurs comportements répétés et l’affirmation de leur opinio juris, contribuent activement à l’élaboration de normes coutumières.
Ce mode de création du droit se révèle souvent plus flexible que la conclusion d’un traité. Prenons la Convention de Montego Bay : la notion de zone économique exclusive (ZEE) s’est d’abord imposée par la coutume avant d’être gravée dans le marbre conventionnel. Parfois, la coutume influe sur la lecture d’un traité ou s’y substitue. Il arrive que l’interprétation de la Charte des Nations Unies évolue sous l’effet d’une règle coutumière nouvelle, façonnée par la pratique des États.
Rôle des organisations internationales et évolutions contemporaines
Voici comment la coutume s’adapte et se renouvelle dans le contexte actuel :
- Les résolutions d’organisations internationales accélèrent la structuration de pratiques à portée globale, contribuant à la reconnaissance de nouvelles coutumes.
- Les juridictions, qu’elles soient nationales ou internationales, s’appuient sur la coutume pour interpréter, compléter ou pallier les textes écrits.
Les bouleversements géopolitiques, les innovations technologiques, la redéfinition des rapports de force : tout cela influe sur la vitalité des pratiques coutumières. Grâce à sa souplesse, la coutume offre aux systèmes juridiques une capacité d’adaptation précieuse, miroir de leur évolution et marqueur de la richesse de leurs sources. Le droit, on le voit, ne s’écrit jamais totalement à l’encre sèche.


